Association Loi 1901 Les Moucheurs Nîmois

Rencontre avec ...

Didier Magnan

Propos recueillis par Bruno Lesur

Du côté d’Argentat et de "Chez Maryse" Didier Magnan est une référence par sa connaissance de la Dordogne.
Plusieurs Moucheurs Nîmois se rendent chaque année au bord de cette belle rivière. Ils peuvent profiter des conseils de Didier qui partage sans retenue son savoir.
Mais Didier Magnan a plusieurs cordes à son arc, écrivain, enseignant et auteur d’articles dans le magazine Pêche Mouche. Nous avons voulu en savoir plus sur cet homme protée.

  • BL : Agrégé de sciences biologiques c’est la passion de la nature qui semble vous animer. Vous avez écrit de nombreux ouvrages sur la pêche, les poissons mais aussi sur les plantes, les fossiles. Racontez-nous votre parcours et ce qui vous a amené à la pratique de la pêche à la mouche.
  • DM : J’ai découvert la Biologie dans mon cursus universitaire grâce à un formidable professeur de Zoologie et cinéaste animalier d’origine roumaine enseignant au Cap en Afrique du Sud, Jean Dragesco. J’ai ensuite exploré de nombreux domaines de la Biologie et je me suis spécialisé dans la Génétique et la Biologie cellulaire que j’enseigne aujourd’hui à La Prepa de l’Institut National Polytechnique de Toulouse.
    Mon grand-père maternel pêchait au filet sur la Dordogne et je le suivais sur la grande barque en bois goudronnée. Mon père m’a initié à la pêche quand j’avais 5 ans, d’abord au coup, puis au lancer. Mes deux oncles m’ont ensuite fait découvrir la pêche à la mouche alors que j’avais 10 ans. Ils étaient tous les deux de merveilleux pêcheurs en sèche et je les suivais partout, en particulier sur la Dronne en Dordogne qui abritait en ce temps-là une importante population de grosses truites.
  • BL : Vous habitez en Corrèze au bord d’une rivière mythique, la Dordogne. Comment se porte "la belle" comme la surnomme certains ?
  • DM : La situation s’est beaucoup améliorée ces dernières années. Après quinze ans de vaches maigres et des populations de truites et d’ombres très décimées, la Dordogne a retrouvé son faste d’antan et la densité de truites, souvent de belle taille, est assez impressionnante. Les ombres sont à nouveau bien présents dans la partie amont, entre Argentat et Beaulieu et de jolies troupes de gros poissons s’activent jusqu’en aval de Carennac.
    La gestion sur la partie corrézienne et les modifications apportées au régime des eaux ont sûrement eu un rôle positif. Mais il faut rester vigilant car cette rivière reste assez fragile.
  • BL : Argentat est l’exemple type de ce que peux apporter à une ville le tourisme pêche. Pourtant malgré des rivières magnifiques la France est très en retard par rapport à d’autre pays sur le développement d’une vraie économie basée sur la pêche. Quel constat faîtes-vous de l’organisation de la pêche dans l’hexagone ?
  • DM : On constate que dès qu’une rivière est bien peuplée elle devient très attractive et des pêcheurs de tous horizons s’y précipitent. C’est bien pour le tourisme, même si certains d’entre eux ne se comportent pas de manière responsable ou amicale.
    Le problème de nombreuses rivières françaises est simplement leur pauvreté en poissons ce qui n’incite pas les pêcheurs à venir en séjour dans leur vallée.
    La gestion de la pêche est très en retard dans de nombreux départements et la réglementation est parfois aberrante avec des tailles légales ridicules et un nombre de captures autorisées, 10 poissons par jour par exemple, incompatible avec une sauvegarde des populations...sans parler d’une garderie très insuffisante, ce qui favorise beaucoup d’abus et d’actes de braconnage.
    Peu d’initiatives sont mises en place pour inciter les femmes à pratiquer la pêche et à l’heure actuelle un loisir de plein air où l’on ne croise que des hommes est forcément perçu comme ringard par les jeunes mais également par beaucoup de touristes étrangers, anglo-saxons ou scandinaves par exemple.
    De plus, trop peu d’expériences de rapprochement entre la pratique de la pêche et celle d’autres loisirs destinés à leurs accompagnateurs (équitation, vélo, randonnée, cuisine, musique...) sont proposées. Dommage !
  • BL : Certains pêcheurs ont une approche très philosophique de la pêche à la mouche basée sur une immersion complète dans la nature, le respect du poisson, la pratique du no-kill systématique.
    Ceci se fait quelquefois au prix du mépris pour les autres techniques de pêche et pour les moucheurs n’observant pas "l’abstinence" halieutique.
    A contrario, les débats dans les APPMA montrent qu’il reste du chemin avant de convaincre certains de la nécessité d’adapter la réglementation afin de préserver la "ressource".
    Y a-t’il une troisième voie qui permettra dans le futur de faire bouger les lignes tout en respectant les attentes de chacun ?
  • DM : Je me suis toujours méfié des intégristes. Il n’y a pas de technique de pêche plus noble que d’autres et la seule chose à respecter c’est le milieu, les poissons, les autres pêcheurs...et la législation.
    Quand on a pris conscience de cela on parle avec tout le monde et l’on essaie de convaincre les autres lorsque l’on considère que tel comportement ou telle mesure ne vont pas dans la bonne direction.
    Une des solutions consiste par exemple à proposer des essais sans a priori de telle ou telle méthode de gestion et d’analyser ensemble et "impartialement" les résultats obtenus... une démonstration par l’exemple en quelque sorte. L’arrêt des "alevinages" et bassinages de truites sur la Dordogne contre lequel beaucoup de locaux se sont manifestés a par exemple montré ses effets bénéfiques et tout le monde aujourd’hui a "vu" que c’est ce qu’il fallait faire.
    Personnellement, je ne garde pas de poissons mais je ne demande à personne de faire comme moi et je n’en fais pas une religion. Je souhaite juste qu’on limite très fortement notre prélèvement car c’est, quoique l’on en dise ici ou là, un des moyens efficaces de préserver les populations et la pérennité de notre loisir.
    Je rêve d’une gestion à l’américaine où chaque année des études approfondies conduisent à dire "cette année la rivière peut supporter tel prélèvement"... mais nous n’avons pas les moyens de faire cela en France.
  • BL : On revient à la Dordogne, c’est une rivière énigmatique, beaucoup s’y cassent les dents. Donnez-nous quelques pistes pour mieux appréhender sa pêche.
  • DM : La Dordogne est une rivière capricieuse. On fait parfois des pêches formidables alors que les conditions paraissent défavorables (niveau assez haut, pluie et vent) alors que certains jours où toutes les conditions sont réunies pour une "grande" sortie, pas de vent, un temps couvert, de belles éclosions...rien ne se passe. Parfois même, sur deux journées consécutives où les conditions sont strictement identiques, l’une sera excellente et l’autre mauvaise. Mais c’est quand même une rivière où il se passe très souvent quelque chose, avec des poissons actifs en surface ou sous la surface.
    Concernant la pêche en sèche, il y a des moments où les poissons sont assez faciles comme à la période des March Brown pour les truites ou certains jours de printemps ou de début d’automne pour les ombres. Mais bien souvent la pêche est difficile et seuls ceux qui savent poser et faire dériver parfaitement leurs mouches tirent leur épingle du jeu, à condition bien sûr de bien connaître les mouches efficaces au fil des saisons.
    Le conseil que je donnerais à ceux qui veulent réussir est de travailler sans cesse leur technique de posers et de dérive, c’est la clé de la réussite. Je vois trop de pêcheurs, parfois excellents lanceurs très agréables à regarder au demeurant, réaliser de magnifiques posers rectilignes...la bredouille est alors au rendez-vous !
    Bas de ligne détendu et soie se trouvant en amont de ce bas de ligne au moment du poser, tel est le secret. Les mendings pour repositionner la soie en amont sont strictement inefficaces en pêchant en sèche.
  • BL : La pêche en noyée en dérive aval a été délaissée au profit de la pêche en nymphe, pourtant la Dordogne se prête parfaitement à cette technique notamment pour traquer l’ombre.
    Donnez-nous quelques conseils sur sa pratique et sur les mouches utilisées.
  • DM : De nombreux secteurs de la Dordogne se prêtent en effet remarquablement bien à la pratique de la pêche en noyée et c’est vrai que l’on ne voit que très rarement des pêcheurs adopter cette technique. Il s’agit pourtant d’une belle pêche agréable à pratiquer et très active, qui permet d’affiner sa connaissance des postes où se tiennent volontiers les poissons.
    On peut tout à fait la pratiquer avec une canne de 10 pieds pour soie 4 par exemple et passer rapidement de la sèche à la noyée en modifiant simplement son bas de ligne, pour monter deux potences. Je conseille de ne pas descendre en dessous du 14/100 car la Dordogne est une rivière puissante et les poissons souvent de belle taille.
    Pour les mouches, je n’utilise pas de sauteuse. J’installe en pointe une nymphe de Trichoptères moyennement plombée de bonne taille et j’installe au-dessus deux intermédiaires en montage espagnol dans des couleurs assez sombres : corps noir, rouge sombre, lie de vin, tabac, olive foncé et colerette en fibres pas trop molles grises ou brunes.
  • BL : Vous avez cotoyé beaucoup de personnalités de la pêche à la mouche, quelles rencontres ont été importantes pour vous ?
  • DM : J’ai en effet eu la chance de côtoyer des grands pêcheurs français ou étrangers et tous m’ont apporté quelque chose. Je pense à mes amis adeptes de la pêche en nymphe à vue, Philippe Boisson, Norbert Morillas, Jean Jacques Cuenin ou Gregory Treille avec qui nous avons passé tant d’heures au bord de l’eau ou à l’école comtoise de pêche à la mouche. Mais je crois que la rencontre la plus marquante a été celle de Piam. J’entends parfois quelques pêcheurs le décrier ou déplorer son côté "marchand". Mais ils oublient un peu vite que d’un point de vue technique, son apport a été au moins aussi important que celui de Skues ou de Sawyer. Il y a eu la pêche d’avant Piam et celle d’après. Et c’est très facile à vérifier au travers des articles publiés dans les magazines de l’époque. Avant lui, les bas de ligne mesuraient 2m50 à 3m50 (immense pour l’époque). Il a compris très vite l’intérêt d’allonger le bas de ligne et les pointes pour améliorer la présentation et a "sorti" des bas de lignes de 6m.
    Tout le reste du matériel et de la technique s’est alors développé autour de ce bas de ligne pour parvenir à l’étaler rapidement et correctement : canne d’action de pointe et "demi-pointe", soies WF et TT à profil ultra dynamique, lancers toniques à haute énergie et limitation des battements de la canne...la pêche est entrée dans l’ère moderne.
    Et que dire de la conception des premières nymphes-leurres destinées aux ombres avec leur tête plombée soudée qu’il a mis au point avec quelques amis de l’Ain et quelques Lyonnais... les nymphes casquées et autres perdigones n’en sont que le développement actuel.
  • BL : Outre la Dordogne quelles sont les rivières qui ont votre préférence en France ou ailleurs ?
  • DM : J’ai un faible pour le Tarn dans la partie intermédiaire entre Lozère et Aveyron. Je trouve cet endroit magique car il concentre tout ce que j’aime : une belle rivière aux eaux cristallines, un cadre de pêche unique et des poissons somptueux. J’ai également un lien affectif particulier avec la Loue, le Doubs et le Dessoubre... bref je crois que je préfère les rivières calcaires aux eaux cristallines et la Dordogne est pour moi une exception. J’ai également un lien affectif avec quelques rivières slovènes que je pratiquais beaucoup avec mon oncle lorsque j’étais gamin...c’était il y a bien longtemps ! J’aime également certaines rivières espagnoles comme le Rio Orbigo.
  • BL : Un souvenir qui a marqué votre vie de pêcheur.
  • DM : J’ai beaucoup de souvenirs agréables comme le jour où mon fils Simon qui avait 12 ans m’a pris sous le nez deux très gros ombres à l’aide d’une infâme Peute alors que j’essayais de les faire monter depuis une bonne demi-heure et leur avait présenté toutes les merveilles de ma boîte ou encore celui où Norbert Morillas a fini par faire manger sa nymphe à une truite "imprenable" de 3,9 kilogrammes qui nous narguait tous depuis une semaine avant de la remettre à l’eau avec un grand sourire qui nous disait "celle-là les gars, vous ne l’y reprendrez jamais c’est ma copine".
    Mais je crois que le souvenir le plus marquant fût ma rencontre avec le regretté Laurent Courtet sur les bords de l’Alagnon, un jour de Novembre. J’avais aperçu un gobage vers l’aval dans un coude de la rivière et je m’étais positionné pour l’attaquer au mieux. Le coup était difficile mais au deuxième poser la dérive fût parfaite et le poisson pris la mouche. Au moment où je mettais ce bel ombre à l’épuisette, une voix enjouée me lança un "Putain, quel coup de ligne !" et je vis un barbu à chapeau équipé d’un wader plutôt large sortir de derrière le buisson près duquel s’était produit le gobage. J’ai alors pensé qu’il surveillait ce gobage depuis un moment et que j’allais me faire engueuler pour lui avoir faucher l’herbe sous les pieds. Mais au lieu de cela il me tendit une flasque de whisky en annonçant "Bon c’est un peu tôt pour l’apéro mais ça s’arrose quand même non ?"...c’est aussi cela la pêche.
  • BL : Question rituelle, on ouvre votre boite à mouches. Quelles sont les modèles dont vous ne pourriez pas vous passer ?
  • DM : De ceux qui marchent bien sûr !!! Certains jours on donnerait sa canne et son moulinet pour avoir la mouche capable de faire monter ce poisson qui gobe à qui mieux mieux et prend bien en surface des mouches que l’on voit disparaître !
    Pour la nymphe à vue : pheasant tail, petites imitations de baétidés à sac alaires en pardo, nymphes de mouche de Mai et d’ecdyo, écouvillons et gammares.
    Pour les perdigones : tête argent, corps caramel, vert, noir et vert bleuté moiré
    Pour la sèche : subimagos de mouche de Mai et de March Brown, spents d’Ecdyonuridés à 4 ailes en pointe de hackle, subimagos de baétidés gris et olive à ailes en pointe de hackle inclinées vers l’arrière, subimagos très clairs, jaune pâle, crème et blanc, émergentes de baétidés en dubbing de lièvre en montage "emerger" ou parachute, "sedges" gris, roux, cannelle à haute et basse flottaison, subsedges et fourmis en taille 16 à 22, chironomes en 18 et 20.
    S’y ajoutent quelques mouches "fantaisie" à toupet en CDC à corps vert-jaune fluo très "pétard", corps vert menthe, rose et violet, et enfin la mouche de mon ami Bernard Maillet, la petitemarron clair cerclée de tinsel doré à tag orange.
    Et si je n’avais le droit qu’à trois mouches, ce serait un parachute gris à corps gris foncé cerclé de cuivre, une fourmi et un sedge en pardocorzuno...C’est ce que fait mon fils et ça lui réussit plutôt bien !

La Dordogne

Toutes les photos appartiennent aux membres des Moucheurs Nîmois, si vous souhaitez les utiliser, merci de nous mettre en crédits.

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