Installé depuis de nombreuses années en bordure du Haut-Allier, James Bouvier veille sur cette rivière aux eaux cristallines.
Parlez lui des truites à la robe dorée, des ombres de souche si précieux à ces yeux, du saumon autrefois tellement abondant que les ouvriers qui travaillaient à la construction de la ligne de chemin de fer
ne voulaient plus en manger, il est intarissable.
James est inquiet pour l’avenir de sa rivière, nous l’avons contacté pour mieux comprendre ses inquiétudes.
N’hésitez pas à vous rendre sur son blog ou le forum dont il est l’initiateur,
dédié à la pêche dans le 43, le 48 et le 07 : il y règne la passion, la convivialité et le respect d’autrui, ce qui nous change de quelques forums plus "agressifs".
BL : Bonjour James, quand on parcourt votre blog on vous sent passionné par la nature, les rivières, les poissons. Comment êtes vous devenu pêcheur à la mouche ?
JB : Ça remonte à un bout de temps ! Ma première canne à mouche (mitchell-conolon en fibre de verre) m'a été offerte en cadeau pour mon bac, j'habitais alors la vallée du Rhône
et je pêchais déjà depuis l'âge de six ans initié par mon grand-père. Dès que j'ai pu, j'ai cherché un poste d'instituteur sur le plateau ardéchois près d'une rivière à truites,
c'est comme cela que je suis arrivé à St Etienne de Lugdarès en septembre 1981 et je n'ai plus quitté cette belle région. C'est sur le Masméjean que j'ai vraiment compris comment fonctionnait une rivière
tout au long de l'année.
BL : Vous avez un attachement particulier pour l'Allier. Cette rivière a beaucoup souffert ces dernières années : crue dévastatrice en 2007, régression de l'ombre commun.
Comment va t-elle aujourd’hui ?
JB : Je viens de regarder hier un film de Seasons : L'Allier, la rivière retrouvée... Malheureusement, je ne suis pas aussi optimiste que les auteurs du reportage.
L'Allier est sinistrée d'après moi (du moins la partie en amont de Langogne).
Les crues successives ont "rectifié" la rivière ; comblement des fosses par du gravier arraché aux berges et les poissons ont moins de refuges depuis, pour résister à la prédation des cormorans.
J'ai mis longtemps à m'apercevoir que le cormoran était l'élément qui avait fait basculer l'équilibre de la rivière (cormorans nombreux car attirés par les 1000 ha de Naussac).
En cette époque d'"écologie de salon", ce discours passe mal, je me suis fâché avec pas mal de monde dans les fédés départementales. Les pêcheurs ne perçoivent pas la prédation des cormorans du fait que
les oiseaux sont là de septembre à mars quand la pêche est fermée.
A Luc, parcours que je connais très bien, les vandoises ont totalement disparu, cela aurait dû nous interroger ? Les chevesnes et les ombres ont très fortement régressé (voire disparus sur certains parcours :
Masméjean, Allier à Pranlac...) Il ne reste que les truites et les tacons à prendre pour les oiseaux. ( voir les photos).
Sur les trois salmonidés présents dans l'Allier, deux sont passés en no-kill total en 2015 : les ombres et les saumons, c'est bien d'un côté mais cela montre que leur situation est vraiment très préoccupante.
L'avenir de l'Allier est pour moi malheureusement liée à la présence ou non des cormorans...Il est illusoire de croire que les tirs de régulation peuvent régler le problème de ces oiseaux, la solution
est à l'échelle européenne ! Je remercie nos 4 tireurs qui font ce qu'ils peuvent pour protéger nos rivières !
BL : Vous œuvrez dans les APPMA, sur internet pour faire bouger les mentalités, qu'est ce qu'il manque, aujourd'hui en France pour exploiter et valoriser au mieux nos magnifiques cours d'eau,
(absence de volonté politique, mentalité des pêcheurs français, pollution, agriculture intensive) ?
JB : Je ne suis pas assez diplomate pour faire une "carrière" dans nos fédés de pêche mais j'ai plutôt l'impression que l'on y dépense beaucoup trop d'énergie pour garder un
certain "pouvoir"... Perso, j'ai juste la prétention d'être souvent au bord de l'eau et d'observer la rivière !
L'Allier est encore une fois un exemple de ce qui ne devrait pas exister : une gestion morcelée entre trois départements 07, 48 et 43 (avec des réglementations bien différentes).
La rivière se moque des découpages administratifs humains et une gestion par bassin versant devrait être appliquée... Pour les captures, un quota maximum annuel et un carnet de prises à rendre obligatoirement
à la fin de la saison permettrait de connaître le prélèvement effectué par les pêcheurs, actuellement personne ne peut dire ce qui est réellement prélevé sur nos rivières !
La pollution et les effets néfastes de l'agriculture me semblent peu importants du fait que l'on est en tête de bassin (une étude écotoxicologique a d'ailleurs montré que les poissons de l'Allier
étaient en bonne santé - ils disparaissent mais en bonne santé).
BL : La souche Allier du saumon atlantique, qui remonte des centaines de kms de rivières avant d'atteindre les frayères du haut-Allier, bénéficie depuis plusieurs années d'une politique
de protection avec déversement de milliers de tacons issus de la salmoniculture de Chanteuges. Pourtant au fil des années le nombre de saumons adultes ne décolle pas, une explication sur ce phénomène.
L'arasement du barrage de Poutès améliorera t-il la situation ?
JB : Sur le Haut Allier, nous n'avons qu'une vue partielle des problèmes du saumon qui est revenu depuis la démolition du barrage de St Etienne du Vigan.
La situation du saumon est très complexe car il cumule les problèmes :
- problèmes liés à sa vie en rivière ; obstacles à sa migration ( descente et montée), cormorans, pêche au filet en estuaire, réchauffement estival des eaux de l'Allier...
- problèmes liés à sa vie en mer, disparition de sa nourriture marine par la surpêche (en partie pour nourrir les saumons d'élevage). La raréfaction du saumon est malheureusement générale à l'échelon européen ...
L'aménagement de Poutès ( passage de 17m à 4m) ouvrira des zones de frayères à plus de poissons et facilitera la dévalaison des smolts. Mais la situation globale n'est pas prête de s'améliorer !
Et pourtant, ils sont vraiment magnifiques ces poissons et j'espère qu'ils survivront, ce serait bon signe pour la planète !
Pour en savoir plus, je vous conseille d'aller sur le site de l'APS des passionnés du saumon de l'Allier.
BL : Un autre poisson que l'on retrouve dans l'Allier, c'est l'ombre commun. Vous êtes un peu le spécialiste de sa pêche.
Donnez nous quelques conseils (technique, mouches, périodes de l'année les plus favorables) pour leurrer ce poisson si lunatique?
JB : L'ombre commun de l'Allier est dans une très mauvaise situation. Il vient d'être protégé au niveau des pêcheurs avec un no-kill total en amont de Langogne.
Cela ne résoudra pas vraiment les problèmes de ce poisson car son principal souci c'est le cormoran. C'est juste une prise de conscience du problème de la part des fédés et des DDT.
Si vous avez déjà pêché l'ombre en été sur les grands "plats" de l'Allier vous avez dû remarquer qu'il ne se cache pas et c'est bien ce qui le rend vulnérable vis à vis de la prédation du cormoran.
Ma pêche préférée est certainement la nymphe à vue en été ! Il faut privilégier la discrétion, les petites nymphes et une animation devant le poisson. Une gourmandise pour lui, les fourmis le font
décoller du fond ! Au coup du soir, je réussis parfois avec une toute petite sèche(h 20), imitation de chironome.
BL : Certains affluents de l'Allier valent le détour : le Masméjean, l'Espezonnette côté Ardèche, le Langouyrou, le Chapeauroux côté Lozère pouvez vous nous en dire quelques mots ?
JB : - Le Masméjean et ses affluents sont bien peuplés en truites (privilégier les endroits branchus - je sais les mouches n'aiment pas trop).
Les ombres ont malheureusement totalement disparu du bas de la rivière.
- L'Espezonnette a perdu de sa superbe mais il reste quelques truites. Les ombres sont devenus très très rares, disparition d'ici peu !
– Le Langouyrou, je l'adore ce ruisseau branchu avec une très bonne population de truites.
– Le Chapeauroux, je ne le fréquente pas assez souvent pour avoir une opinion.
BL : Outre l'Allier, quelles sont les rivières qui ont votre préférence dans l’hexagone (et pourquoi) ?
JB : J'ai choisi d'habiter à Laveyrune et je n'éprouve pas le besoin d'aller très loin pour être bien au bord des rivières, je suis donc plutôt "casanier".
Ma rivière préférée reste quand même la Borne (07) pour son côté sauvage et j'aime bien aussi aller sur Le Lot (48) pour ses grosses truites.
Les lacs (Charpal, Naussac) permettent de pêcher entre amis et de parfois piquer de très gros poissons (brochets) sans oublier "mon petit lac de l'Auradou à Luc".
BL : Dernière question rituelle : on ouvre votre boîte à mouches : quelles sont les 4-5 imitations qui ont votre préférence.
JB : J'ai, malheureusement pour les poches de mon gilet, plusieurs boîtes de mouches : les sèches, les noyées, les nymphes et les streamers.
Si je ne devais garder que 5 sèches...
- une éphémère gris (h14 à 18)
- un éphémère genre march brown (h12)
- une imitation noire de bibio (h14 à 18)
- un sedge chevreuil (h12 à 18)
- un chiro h20
Au plaisir de vous rencontrer au bord des rivières.
Toutes les photos appartiennent aux membres des Moucheurs Nîmois, si vous souhaitez les utiliser, merci de nous mettre en crédits.