Association Loi 1901 Les Moucheurs Nîmois

Rencontre avec ...

Rodolphe Avizou

son site web www.pechepatagonie.com

Propos recueillis par Bruno Lesur

Rodolphe Avizou

Amis Moucheurs, fermez les yeux, imaginez les montagnes enneigées de la cordillère des Andes, des vallées parcourues par des rivières magnifiques, des lacs survolés par de belles libellules que des grosses farios gobent goulument. Eh oui vous êtes en Patagonie, nous sommes allés à la rencontre d’un français Rodolphe Avizou passionné de pêche qui a sauté le pas, s’est installé là-bas au paradis du pêcheur pour devenir guide de pêche, le veinard. Ouvrez les yeux… vous y êtes !!!

  • BL : Rodolphe, vous vous êtes installé en 2012 au Chili pour proposer des séjours de pêche en Patagonie chilienne, qu’est ce qui vous a amener dans ce beau pays ?
  • RA : Je suis venu en 2005 pêcher dans la région de Coyhaique sur les conseils d’un ami pêcheur à la mouche ; près de la retraite, il a effectué de nombreux voyages autour du globe (Slovénie, Canada, USA, Mongolie) et est tombé amoureux de cette région. Il y a d’ailleurs acheté un petit terrain avec deux compères et s’est fait construire une maison pour couler des jours heureux une fois la retraite venue. Le Chili est de plus un pays stable, avec peu d’insécurité, pas corrompu, les chiliens sont très accueillants et il y est possible d’entreprendre pour les étrangers.
  • BL : Pourquoi avoir choisi la région de Coyhaique ?
  • RA : D’une part sur les conseils de cet ami et j’ai également été fasciné par l’étendue de la zone de pêche. Une vie ne suffit pas pour tout pêcher.
    La région de Coyhaique permet de découvrir tous les jours un parcours différent. Il y a énormément de lagunes (petits lacs), pêchables uniquement en float-tube donc pratiquement inexplorées, des grands lacs, quelques grandes rivières et de nombreux rios de petite ou moyenne taille avec des profils très différents.
    Certains serpentent lentement dans la plaine alors que d’autres ont plutôt un profil de torrent de montagne.
    Coyhaique est une ville de 50.000 habitants, et se positionne comme le carrefour de la Patagonie du Nord. Cela offre confort et sécurité pour les pêcheurs et facilité logistique pour les organisateurs.
  • BL : La Patagonie est un mythe pour beaucoup de pêcheurs, qu’est-ce qui différencie la partie chilienne de la partie argentine ?
  • RA : Le Chili, ce pays tout en longueur, est bordé à l’Est par la cordillère des Andes et à l’Ouest par le Pacifique. Cette spécificité apporte de nombreux atouts : la Patagonie chilienne est beaucoup moins ventée que le côté argentin ; dont le relief, beaucoup plus plat, offre peu d’obstacle à la progression du vent. Les paysages sont plus variés et il suffit de se déplacer de quelques dizaines de Km pour passer de la plaine, à la montagne, voir des glaciers etc…
    Ce relief plus tourmenté a tendance à bloquer les nuages et les précipitations sont plus importantes qu’en Argentine. La végétation y est donc verdoyante et relativement étonnante : forêt de fuschias, bambous, chênes et les majestueux coïgues qui peuvent atteindre des dimensions impressionantes.
    Pour les pêcheurs, la grande différence réside dans la présence de saumons du Pacifique ; inexistants côté argentin.
    Les saumons king, dont les plus gros atteignent le poids respectable de 40 Kg ouvrent le bal, de mi-septembre jusqu’à mi-mars et sont suivis par les saumons Silver ; eux-mêmes accompagnés par les Steelheads et Cutthroats.
  • BL : Nous sommes dans l’hémisphère sud, les saisons sont inversées par rapport à la France, quelles sont les mois les plus favorables et à quel climat doit on s’attendre ?
  • RA : Avant de m’installer à Coyhaique, j’avais l’habitude de venir en Mars. J’ai été surpris de constater que dès le mois de septembre, il est possible de vivre des journées ensoleillées des plus agréables. J’ai tendance à comparer le climat patagon à un climat de moyenne montagne en France ; sauf que nous sommes ici à une altitude proche du niveau de la mer. Les nuits sont toujours fraîches et les journées, de septembre à avril, peuvent être formidables (30°C) comme exécrables (2°C)!
    La spécificité réside dans la variabilité du climat : les 4 saisons peuvent se télescoper au cours d’une même journée. Souvent, les nuages sont bas et les montagnes semblent fumer.
    La diversité du relief engendre également une forte disparité de conditions météos : certaines zones à 50 Km au Nord de Coyhaique sont connues pour leur climat pluvieux alors que d’autres, vers les plaines argentines, sont beaucoup plus sèches.
    Lors de mes premières venues au mois de mars, j’ai vécu des quinzaines sans pratiquement aucun nuage et d’autres où nous avons eu une journée de beau temps en tout et pour tout.
    En conclusion, j’insiste sur le fait de venir bien équipé avec du matériel de qualité. J’ai personnellement une veste de pêche étanche et modulable me permettant de la transformer en gilet ou en vêtement de pluie intégral.
    La crème solaire indice maximum est indispensable ; la Patagonie est située sous le trou dans la couche d’ozone et le soleil y est très agressif.
  • BL : Saumons, truites farios, arc en ciel, pêche en lac ou en rivière le programme est varié comment organisez-vous le séjour de vos clients pêcheurs ?
  • RA : J’opère seul ou avec l’aide d’un autre guide si mes pêcheurs en font la demande lors de leur réservation. Cette structure légère me permet de m’adapter au mieux aux désirs de mes clients. Lors des premiers jours, et surtout suivant les conditions météos, j’emmène mes pêcheurs sur les endroits incontournables.
    Les jours de mauvais temps sont plutôt consacrés à la pêche du saumon ; un grand soleil nous assurera une belle pêche en sèche ; l’absence de vent sera un élément important pour pêcher en float-tube sur les lagunes etc…
    Bien que comme partout ailleurs, un peu de marche permet de faire des parcours plus intéressants, il faut également savoir s’adapter au niveau physique des participants…
    Le soir, après avoir consulté la météo (pas plus fiable que chez nous !) nous discutons ensemble autour d’un pisco pour établir le programme du lendemain. Je prévois également la fin du séjour libre pour revenir sur un spot qui a fait l’unanimité.
    Sur 8 jours de pêche, le programme « de base » mais adaptable est constitué de deux jours de pêche au saumon, deux jours de pêche en lac ou lagune, 3 jours de pêche en rivière, et un jour au choix.
  • BL : La pêche en France est réputée difficile avec des poissons méfiants, souvent éduqués nécessitant de pêcher fin, comment se comportent les poissons patagons ?
  • RA : Bonne nouvelle : la pêche en Patagonie n’a rien à voir avec la pêche en France ! Il y a certes quelques parcours où les truites sont éduquées, des journées lors desquelles les poissons ne mordent pas, mais en grande majorité, les poissons ne sont pas méfiants et prennent nos mouches très facilement. Il faut tout de même connaître les bons modèles, savoir à peu près lancer, observer, et la pêche est faite. Les pêcheurs sont souvent étonnés par la taille des mouches employées : libellules de 10cm, grosses sauterelles, sedges énormes, streamers de 15cm, souris !!! J’avoue que mes boîtes de mouches employées en Patagonie n’ont pas vraiment de succès en France ! Il est vivement déconseillé de faire draguer une mouche de par chez nous alors qu’ici, c’est un élément déclencheur sur beaucoup de poissons.
    Compte tenu de la taille des modèles utilisés, un bas de ligne de 16 ou 18 centièmes est souvent un minimum.
    Même en Patagonie, la pêche garde son lot de secrets et il m’est arrivé de m’arracher les cheveux dans certains endroits. Entourés de gobages démesurés, j’ai eu passé plusieurs journées, essayé des dizaines de modèles de mouches avant de trouver celle qui marche et connaître la bonne animation. Là réside le plus grand plaisir que je tire de mon activité de guide et la satisfaction de mes pêcheurs est ma récompense.
  • BL : En France on a surtout l’image de la pêche en Argentine avec certaines rivières quasiment « chasse » gardée de quelques riches amateurs. Comment est organisée la pêche au Chili ? (permis, parcours privés, nombre de prises autorisées etc…).
  • RA : La pêche au Chili, ouverte du 15 septembre (ou 15 octobre) jusqu’à mi-avril (ou mi-mai) est très réglementée mais malheureusement peu surveillée. La licence coûte une cinquantaine d’euros environ. Il est interdit de pêcher aux appâts naturels, les prises sont limitées à trois poissons par jour, sans limite de taille dans les plans d’eau fermés, 35 cm max dans les rivières. Les saumons doivent être relâchés. Cette réglementation, dont la France devrait s’inspirer, a pour but de relâcher les poissons reproducteurs. Malheureusement, les autochtones pêchent pour manger et respectent peu ces règles. Il est très fréquent de voir des pêcheurs utiliser des œufs de saumons, des vers, sans licence, et à toute saison.
    L’eau est un bien public au Chili. En théorie donc, aucun accès n’est privé tant que l’on se déplace au bord d’un cours d’eau. Néanmoins, il faut parfois passer par des propriétés privées pour accéder à certains rios et obtenir l’accord du propriétaire. Alors qu’il y a une dizaine d’années, une poignée de main suffisait, il nous faut de plus en plus glisser un billet, ou au mieux offrir une bouteille de vin ou quelques cigarettes pour passer. Tant que cela reste raisonnable, cela n’est pas dérangeant mais certains abus commencent à être constatés. Le rôle du guide est de gérer tout cela en amont afin d’obtenir les accès à ces lieux privés.
  • BL : Quelles sont les quelques imitations incontournables pour réussir ?
  • RA : Il y a certains modèles que nous connaissons en France et qui fonctionnent bien :
    Adams, montages en parachute, oreille de lièvre, pheasanttail, BWO, sedges, sauterelles et scarabées…puis les modèles impossibles à sortir en France : libellules, souris, tchernobyl, Amy’sant.
    En nymphe : prince nymph, grosses imitations de perles, gammares, larves de sedges…les modèles agrémentés de pattes élastiques sont très efficaces.
    Quelques streamers bien plombés également pour pêcher les grosses truites : vairon paonne, zonkers, divers modèles de leech, woolybuggers. Les coloris noirs, olives et blancs sont les plus employés.
    Pour le saumon king, les meilleurs résultats s’obtiennent aux leurres mais des gros streamers colorés (orange, jaune, chartreuse) et très plombés peuvent les décider. Les imitations d’œufs de saumons sont également très bonnes tant pour le saumon que pour la truite.
    Pour la pêche aux leurres, on peut rester classique avec des cuillères tournantes plutôt N°3 mais la gamme Smith avec les D Contact, AR HD minnow apportent de supers résultats. Les lames de 25 à 50g sont excellentes pour le King ainsi que les quimperloises en rouge/orange/jaune.
  • BL : Chaque pêcheur a ses rivières préférées, quelles sont celles qui ont votre préférence (France, Chili ou autres) ?
  • RA : Originaire du Sud Ouest et ayant habité quelques années à Aix en Provence, j’ai beaucoup pêché les rivières pyrénéennes, le Verdon mais ne les mettrait pas dans mes rivières préférées largement détrônées par les rios patagons. J’aime beaucoup pêcher les spring-creek, rivières lentes de plaine, encombrées de joncs et très techniques mais ma préférence va à un rio chilien en particulier dont je préfère garder le nom. Il mesure 15 à 20 M de large, profond de 2 mètres avec une succession de fosses et de radiers, dessine de grands méandres dans une plaine magnifique, est idéal pour le wading, avec une densité de truites de 40cm hallucinante. Les bonnes journées, une portion de 150 mètres permettent d’attraper une cinquantaine de poissons de ce gabarit avec quelques spécimens pouvant atteindre 60cm.
    Etant équipé de float-tube, j’ai également redécouvert la pêche en lacs et laquets et adore la période lors de laquelle les truites se gavent de libellules. Les truites sautent à une hauteur de 50cm, pour les attraper en vol, sans aucune discrétion, et la moyenne de taille des poissons se situe aux alentours de 50 voire 55cm avec des truites records de plusieurs kilos. Les nerfs sont alors mis à rude épreuve…
  • BL : Faites nous rêver, pouvez-vous nous évoquer un moment exceptionnel lors de votre première année de guidage ?
  • RA : Je vais en citer deux :
    j’ai reçu un père et son fils l’année dernière. Le père n’avait pas touché sa canne à mouche depuis 20 ans et le fils était totalement novice.
    Le troisième jour, nous sommes allés pêcher une lagune privée. Quel bonheur de voir la mine réjouie de ces deux pêcheurs qui « enchaînaient » les poissons de 23 à 26 pouces ! Ils faisaient draguer des sedges lors d’un coup du soir fabuleux et ramenaient un poisson pratiquement à chaque lancer. Bien que la nuit soit totalement tombée, cela fut difficile de les faire sortir de l’eau !
    Autre moment inoubliable au mois de Mai lors de la fermeture de la saison. Nous sommes partis loin au Sud de Coyhaique pour passer quelques jours au Sud du Lago général Carrera, mer intérieure de 1850 Km2.
    A partir d’Avril, les truites farios reproductrices du lac remontent un rio torrentueux pour frayer. C’est un pari risqué dépendant du climat, du niveau des eaux mais la chance était avec nous, le temps était magnifique, l’eau relativement claire. Arrivée dans l’après-midi, nous commençons la pêche vers 17h00 ; rien… Lors des dernières minutes de clarté, je perçois un mouvement dans l’eau, cela paraissait gros. Un premier lancer avec un gros streamer, une tape puis plus rien… J’insiste…10mn…20mn quand soudain une touche violente me sort de ma léthargie…le poisson saute…énorme, cuivré ! Il se bloque derrière une pierre, je commence à bouger pour trouver un bon angle et le sortir …je tire…trop et casse ! Suit un chapelet de jurons….
    Beaucoup de questions pendant la soirée trop arrosée pour passer la déception, qu’était ce ? Une énorme truite, un saumon Masu ??? Nous y retournons le lendemain, changeons les bas de ligne pour du 35 centième, mettons nos plus gros streamers. Cela n’a pas été long, nous avons chacun attrapé environ une truite par heure ; certes ce n’est pas beaucoup mais quand les poissons font 70cm et que l’on met 20 bonnes minutes à les sortir, cela devient inoubliable. Je passe sur les mâles qui nous ont cassé des bas de ligne de 45 centièmes. Certainement la plus belle partie de pêche à la truite de ma vie.
  • BL : Dernière question, vous êtes un ancien restaurateur, parlez nous un peu de la cuisine chilienne que vous proposez à vos hôtes pêcheurs.
  • RA : Il est vrai que j’apporte une attention particulière à la gastronomie et à la découverte de la cuisine chilienne.
    Le Chili est un pays très riche et qui possède des produits magnifiques. J’ai eu la chance de rencontrer un jeune cuisinier à Coyhaique qui tient un petit restaurant avec sa femme et qui s’occupe de la restauration de mes pêcheurs. Il possède un excellent niveau de cuisine et prend bien soin de nous. Les repas du midi, plutôt froids, sont tout-prêt pour ne pas perdre trop de temps et plus profiter de la pêche. Ce sont des salades de pâtes, quiches, empanadas (beignet de viande ou fruits de mer…)etc…
    Les repas du soir sont particulièrement soignés et sont composés la plupart du temps de produits locaux patagons : agneau de Patagonie en asado, méthode locale de cuisson qui consiste à le crucifier devant un gros feu de bois ; des pinces de crabe ou le « chupe de Jaiba » qui est une sorte de gratin de crabe ; l’étonnant mais délicieux gâteau de maïs ; le filet de boeuf est excellent etc…
    Des soirées sont également programmées au restaurant ; il y est proposé des grillades, des poissons, du ceviche, on trouve parfois des civelles. N’oublions pas le saumon fumé maison, le tout accompagné par de très bons vins chiliens, des bières de Patagonie et bien sûr le fameux pisco local, alcool de raisin, pour l’apéritif.
    Il y a aussi quelques bonnes surprises... les gourmands sont les bienvenus !

Merci Rodolphe et bonne saison de guidage

Truite fario
Truite fario
Saumon King
Mouches
Paysage
Spring Creek
Agneau Asado

Toutes les photos appartiennent aux membres des Moucheurs Nîmois, si vous souhaitez les utiliser, merci de nous mettre en crédits.

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